Un rapport remis au CNFPT épingle la réforme restreignant l'accès des urbanistes diplômés à la fonction publique territoriale

Un rapport remis au CNFPT épingle la réforme restreignant l’accès des urbanistes diplômés à la fonction publique territoriale

Alors que le Ministère de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique a apporté en mars 2013 une nouvelle réponse à une question parlementaire sur le problème de l’accès des urbanistes diplômés au concours d’ingénieur territorial dans laquelle il précise qu’une « réflexion sera ouverte sur l’évolution des métiers dans la fonction publique et l’adaptation des cadres statutaires », il est utile de se plonger dans le rapport remis en novembre 2011 au CNFPT par le cabinet ARISTAT sur les « Compétences et activités des urbanistes dans les collectivités territoriales ».

Ce rapport, qui peut être consulté sur le site Internet de l’association UT, met en évidence l’apport indispensable des urbanistes diplômés à l’exercice des missions d’urbanisme au sein des collectivités locales. Il pointe notamment les effets contre-productifs de la fermeture de l’accès à la spécialité « urbanisme, aménagement et paysages » du concours d’ingénieur territorial pour les diplômés en urbanisme.  Les conclusions de ce rapport vont indéniablement dans le même sens que les positions du CNJU et des parlementaires et associations de collectivités locales qui lui ont apporté leur soutien pour demander la réouverture de l’accès au concours.

Suite à la parution d’un article dans l’hebdomadaire d’information Urbapress (n°1823/1824, du mercredi 6 février 2013) qui en avait fait mention, le CNJU a pu se procurer le rapport commandé par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) sur les « Compétences et activités des urbanistes dans les collectivités territoriales ».  Le CNJU passe en revue les conclusions et principaux enseignements de ce document inédit.

Les Masters d’urbanisme et les Instituts d’urbanisme sont incontournables pour former des « urbanistes territoriaux »

La lecture de ce rapport (46p.) en trois parties[1] démontre l’importance pour les collectivités locales et la maîtrise d’ouvrage publique de pouvoir recruter des urbanistes diplômés (Master d’urbanisme) au sein de leurs services.

S’appuyant sur un panel représentatif et des investigations qualitatives, le rapport révèle (p.18) que « [..] deux tiers des agents rencontrés partagent un point commun : celui d’avoir complété leurs études par un troisième cycle dans un institut d’urbanisme ».

Pour les personnes interrogées par les rédacteurs du rapport (p.18) « les instituts d’urbanisme sont souvent perçus comme un moment clé dans la formation des agents. […] les 3èmes cycles en urbanisme permettent aux agents de connaître le contexte urbain, le cadre réglementaire, les problématiques territoriales et les méthodes les plus mobilisées par les urbanistes ».

Loin d’une figure professionnelle figée entre sciences « dures » et techniques, le rapport remis au CNFPT souligne l’importance des instituts d’urbanisme et des Masters d’urbanisme (qui peuvent être délivrés dans des instituts ou ailleurs) dans la formation des urbanistes exerçant au sein des collectivités territoriales.

La nécessaire pluridisciplinarité des équipes (architectes, économistes, ingénieurs, juristes, paysagistes, urbanistes, etc.) est également plébiscitée par les professionnels en activité au sein des collectivités ; les urbanistes étant un des éléments indispensable à cette pluridisciplinarité.

Plus que la nécessité d’obtenir un diplôme d’architecte, d’ingénieur ou de géomètre-expert, la technicité des agents s’acquiert avant tout par l’expérience professionnelle et la formation continue, jugent les auteurs, mettant en évidence quatre enjeux pour le secteur public local dont la maîtrise ne requiert pas une formation scientifique et technique (p.20) :

  • « Le fonctionnement singulier des collectivités territoriales ;
  • La compréhension du jeu d’acteurs local ;
  • L’extrême variabilité du cadre légal ;
  • L’émergence de nouvelles problématiques et politiques publiques ».

Ces thèmes de formation, déjà abordés dans les cursus de Masters d’urbanisme nécessitent des remises à niveau régulières, pour coller aux contextes juridique, administratif et théorique évolutifs.

L’enjeu n’est donc pas de renforcer le caractère scientifique et technique des diplômes supérieurs en urbanisme, mais de développer une offre importante et complète de formation continue afin de permettre une actualisation des connaissances pour les urbanistes en activité.

La fermeture du concours d’ingénieur territorial aux urbanistes est vécue comme une régression

La fermeture du concours d’ingénieur territorial aux urbanistes, intervenue début 2009, a appauvri la qualité des recrutements pour les collectivités locales, ce que le rapport remis au CNFPT déplore (p.22) :

« S’ils sont convaincus que le métier d’urbaniste nécessite un ensemble de compétences techniques qui légitiment leur statut d’ingénieur, ces compétences ne se réduisent toutefois pas à celles acquises dans les écoles d’ingénieur. La restriction de l’accès au statut d’ingénieur aux seules écoles d’ingénieurs et d’architectes est alors perçue comme allant à l’encontre de la nécessaire pluridisciplinarité des équipes et vécue comme un appauvrissement de la profession», notent les auteurs.

Poursuivant l’analyse le rapport précise également que la filière administrative (attaché territorial) ne constitue pas non plus une réponse satisfaisante pour les urbanistes pour les raisons suivantes (p.22) :

  • « Le statut d’attaché est moins bien rémunéré que le statut d’ingénieur (en salaire de base comme en progression) et créé de fait une division entre les urbanistes.
  • La réforme a généré un grand nombre de dysfonctionnements au sein des équipes et des problèmes de ressources humaines pour les managers. En effet, pour bon nombre de jeunes urbanistes, leur entrée dans la fonction publique territoriale commence d’abord par un poste contractuel avant de passer le concours et d’être éventuellement titularisé. Or, dans de nombreux cas, ces gens ont été recrutés sur un statut d’ingénieur auxquels ils ne peuvent désormais plus accéder.
  • Le basculement vers le concours d’attaché territorial – même si celui-ci a désormais une filière urbanisme – ne semble pas avoir convaincu les personnes rencontrées pour qui les formations d’urbaniste se prêtent plus au concours d’ingénieur qu’au concours d’attaché jugé trop « administrativo-juridique ». Qui plus est, la plus grande concurrence au concours d’attaché (niveau bac+3) qu’au concours d’ingénieur (bac+5) entrave la possibilité de reconversion vers ce statut.
  • Enfin, les services d’urbanisme ont construit leur politique de ressources humaines des cadres sur le statut d’ingénieur. Dès lors, dans certains services d’urbanisme visités, il existe pour l’instant peu de postes d’attachés disponibles par rapport aux ingénieurs. »

La fermeture du concours d’ingénieur territorial aux urbanistes a plus contraint le fonctionnement des collectivités territoriales qu’elle ne l’a aidé. Ces dernières ont largement recours aux contrats à durée déterminée et sont dans l’incapacité de stabiliser les collaborateurs les plus expérimentés.

La formation scientifique et technique : un faux problème

Enfin, la dernière partie du rapport (« Les différents profils-types d’urbanistes de la fonction publique territoriale ») présente des « profils-types » d’urbanistes :

  • « Les urbanistes exerçant une fonction de prospective et de planification ;
  • Les urbanistes assurant une assistance opérationnelle ;
  • Les urbanistes assurant la gestion du droit des sols et la mise en œuvre des politiques foncières ;
  • Les urbanistes coordinateurs-ensembliers ».

 

Ces quatre profils-types correspondent peu ou prou aux fonctions définies dans le Référentiel sur le métier d’urbaniste élaboré par l’Office professionnel de qualification des urbanistes (OPQU).

Pour rappel, selon les enquêtes nationales sur l’insertion professionnelle des jeunes urbanistes menées par le CNJU, les urbanistes diplômés assurent majoritairement des fonctions :

  • d’analyse et de prospective territoriale ;
  • de coordination et de conduite de projets territoriaux et urbains ;
  • d’animation de projets territoriaux et urbains ;
  • de production d’opérations.

Ces quatre fonctions se recoupent avec les profils-types d’urbanistes définis dans le rapport remis au CNFPT. Ce constat explique assez logiquement que les collectivités territoriales, malgré la fermeture du concours d’ingénieur territorial et le recours massif aux contractuels, restent le premier débouché professionnel des urbanistes diplômés.

Au final, les conclusions de ce rapport gagneraient à être communiquées et mises en débat au moment où le Ministère de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique entend ouvrir une réflexion sur l’évolution des métiers dans la fonction publique et l’adaptation des cadres statutaires dans le cadre de la négociation sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations[2].

Dans un récent courrier adressé le 6 mai 2013 à Marylise Lebranchu, le Président du CNJU, François Favard, a pris acte de la volonté de la Ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique d’ouvrir « une réflexion sur l’évolution des métiers dans la fonction publique et l’adaptation des cadres statutaires dans le cadre de la négociation sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations ». Dans son courrier, le président du CNJU rappelle la nécessité « d’assurer aux urbanistes diplômés un cadre d’emploi stable, permettant d’accéder à des fonctions d’encadrement et à des rémunérations équivalentes au statut d’ingénieur territorial ».


[1] Trois parties :

1. Organisation des collectivités sur la question de l’urbanisme

2. Compétences et savoir-faire des urbanistes dans la fonction publique territoriale

3. Les différents profils-types d’urbanistes dans la fonction publique territoriale

 

[2] Assemblée nationale, question écrite n°13812, de Madame Audrey Linkenheld, Députée du Nord (Groupe socialiste, républicain et citoyen) à Madame Marylise Lebranchu, Ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique, publiée au Journal officiel, page 7505, le 18 décembre 2012. Réponse publiée au Journal officiel, page 3091, le 19 mars 2013. http://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-13812QE.htm